Le Batman des favelas
RIO DE JANEIRO, 17 janv. 2013 – Depuis les manifestations en marge de la Coupe des confédérations l’an dernier à Rio de Janeiro, Batman se montre régulièrement au milieu des protestataires. Bien sûr, il attire tout de suite l’attention des photographes.
Ses apparitions se déroulent généralement ainsi : tout à coup j’entends une clameur et des applaudissements. Je me précipite vers l’endroit d’où vient le vacarme, et je réalise que Batman est arrivé. Il est devenu une célébrité. Quand il se montre, tout le monde se presse pour le saluer et le féliciter. Parfois, quand il surgit dans la nuit au sommet de l’ancien aqueduc de Lapa ou qu’il serre la main d’un leader indigène, la scène est tellement irréelle que je me demande si, au fond, ce n’est pas le vrai Batman qui s’est échappé du film…
En réalité, Batman s’appelle Eron Morais de Melo. C’est un prothésiste dentaire de 32 ans. Il a commencé à s’habiller en Batman, avec un déguisement qu’il a confectionné lui-même, lors des grandes manifestations de juin 2013. Il a décidé de faire ça parce que Batman est un symbole de la lutte contre l’oppression.
Eron m’a raconté qu’il considère le Brésil comme une dictature déguisée en démocratie. Il dit qu’il participera aux manifestations jusqu’à ce la constitution brésilienne, qui proclame que le logement, l’éducation et la santé sont des droits pour tous les citoyens que l’Etat a l’obligation de satisfaire, soit pleinement respectée. Il est devenu une figure médiatique et on lui a proposé de nombreuses fois de rejoindre un parti politique. Mais il refuse de prendre part à un système qu’il combat.
Sa femme s’est habituée à le voir sortir avec son accoutrement. Une fois, il s’est fait arrêter par la police pour avoir violé une nouvelle loi interdisant d’avoir le visage dissimulé pendant les rassemblements. La fantasmagorie hollywoodienne est très présente dans les manifestations au Brésil et, pendant les grandes manifestations du printemps, beaucoup de protestataires portaient des masques des Anonymous. Des jeunes encagoulés, pour la plupart des membres du groupe anarchiste Black Bloc, ont commis des violences et du coup, il est désormais interdit de défiler masqué. Depuis lors, Batman porte parfois un panneau de carton qui précise son nom et son numéro de carte d’identité, afin de prouver qu’il ne porte pas son masque pour se cacher des autorités. Pendant un moment, il a cessé de se montrer lors des manifs et les gens ont commencé à brandir des pancartes demandant : « où est Batman ? »
Récemment, Batman ne se montre plus seulement lors de manifestations. Il lui arrive de participer à d’autres événements comme le « Zombie Walk », un happening planétaire au cours duquel les gens se promènent déguisés en morts vivants. Ce jour-là, il était armé d’un faux pistolet doré avec lequel il faisait mine d’éliminer les repoussantes créatures.
Le 9 janvier, je me suis rendu dans la Favela do Metro, une petite communauté située entre le métro et une rocade proche du mythique stade Maracanã. La favela doit être entièrement rasée avant la Coupe du monde de football 2014 pour laisser la place à un centre commercial.
En 2010, 637 familles de cette favela ont été relogées mais des squatters sont arrivés et se sont installés dans leurs anciennes maisons. Ces nouveaux occupants refusent de partir et ont dressé des barricades pour empêcher les autorités de les déloger. Batman est venu leur rendre visite pour les encourager et attirer l’attention des médias sur leur sort.
Batman est devenu une figure incontournable de tous les mouvements sociaux à Rio et il entend bien continuer pendant la Coupe du monde l’été prochain. Sa présence, à chaque fois, semble vraiment ravir et réconforter les gens. Sans doute donne-t-il aux manifestants l’espoir que leur cause sera entendue.
Yasuyoshi Chiba est photojournaliste à l'AFP Rio depuis 2011. Il a également travaillé au Kenya et dans la presse nationale au Japon.