Des rumeurs de fantômes hantent Ishinomaki

Par Miwa SUZUKI

AFP / Toshifumi Kitamura

  ISHINOMAKI (Japon), 28 fév 2012 (AFP) - Un an après le tsunami meurtrier qui a emporté un dixième de sa population, la ville côtière d'Ishinomaki est la proie de rumeurs de fantômes hantant les quartiers littoraux ravagés.

   "On m'a dit que des gens qui réparaient ce magasin sont tombés malades à cause des fantômes", témoigne Satoshi Abe, 64 ans, désignant un supermarché à moitié reconstruit.

   Et d'ajouter: "Des gens sont morts partout, ici et là. La ville est pleine de ces histoires".

   Plus loin, un chauffeur de taxi refuse de s'arrêter dans certains quartiers, craignant d'embarquer des passagers esprits morts-vivants, fantômes de victimes de la tragédie du 11 mars qui a tué 19.000 personnes dans le nord-est de l'archipel.

   Une habitante raconte avoir entendu des histoires de hordes de personnes vues en train de courir vers les collines, comme si elles essayaient encore et encore d'échapper aux vagues.

   Dans certaines parties de ce port de pêche la hantise n'empêche cependant pas la vie de reprendre peu à peu: des maisons sont en cours de reconstruction, les entreprises rouvrent et les enfants sont de retour à l'école.

   Mais, après la mort de 3.800 habitants de la cité sous la déferlante de plus de 10 mètres, d'aucuns jugent impossible un retour à la normale.

   Shinichi Sasaki affirme ne pouvoir se défaire une seconde du souvenir du 11 mars 2011. Pour lui, c'est cette mémoire persistante qui crée des fantômes.

   "Ce jour-là revient sans cesse à l'esprit", insiste-t-il.

   "Si vous connaissez quelqu'un qui a été tué de façon aussi soudaine, vous pouvez avoir l'impression que cette personne est toujours là. Je ne crois pas aux fantômes mais je comprends pourquoi la ville est en proie aux rumeurs", explique-t-il.

   Les psychologues estiment pour leur part qu'une croyance dans l'existence de fantômes est assez logique à la suite d'un tel traumatisme et fait partie du processus de guérison d'une société.

   L'anthropologue Takeo Funabiki jugent "naturel" que des histoires surnaturelles surgissent dans le sillage d'une telle tragédie.

   "Les êtres humains trouvent très difficile d'accepter la notion de la mort, qu'ils soient enclins à la superstition ou au contraire très rationnels", a-t-il précisé à l'AFP.

   "Une mort brutale est particulièrement incompréhensible et dans ce cas l'expression de cette incrédulité peut prendre la forme de rumeurs, quelque chose qui peut être partagé avec d'autres personnes dans la société".

                  Une manière d'exprimer ses émotions

   Pour une partie de ceux qui ont perdu des êtres chers, les traditions qui accompagnent habituellement la mort au Japon ont pris tout leur sens.

   Des prêtres shintoïstes ont été appelés à consoler les âmes des morts et à faciliter leur passage dans l'autre monde avant de purifier les lieux où leurs corps ont été retrouvés.

   Lors de la fête bouddhiste de Obon en plein été, on fait des offrandes pour signifier que les vivants sont prêts à accueillir à nouveau les esprits des êtres chers disparus, censés revenir pour quelques jours.

   Mais d'autres personnes ont du mal à accepter leur perte.

   Koji Ikeda, thérapeute, souligne que "les survivants ont diverses émotions complexes --la peur, l'anxiété, la tristesse ou le désir de retour des personnes décédées."

   "Il est possible que tout un tas de sensations que les gens ont du mal à maîtriser conduise à la +projection+ de fantôme", indique-t-il.

   "Les émotions refoulées ont besoin d'être exprimées pour que les gens soient capables de s'adapter à la nouvelle réalité et d'aller de l'avant avec leur douleur."

   Yuko Sugimoto, la femme vêtue d'une couverture au milieu des ruines dont la photo prise après le 11 mars a fait le tour du monde, dit qu'elle n'est pas particulièrement superstitieuse. Elle n'a pas vu de fantômes, mais elle n'a pas de doute qu'ils pourraient être là, parmi les ombres.

   "Beaucoup de gens qui menaient une vie normale sont décédés subitement," dit-elle. "Je suis sûre qu'ils doivent aussi trouver cela difficile à accepter. Il serait étrange qu'il ne s'expriment pas."

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