Dans l'oeil du cyclone
Tokyo - Le collaborateur de l’Agence France-Presse et vidéaste anglais James Reynolds, 36 ans, est un « chasseur de typhons ». Ils ne sont qu’une poignée sur terre à exercer ce métier passionnant qui les amène à sauter dans un avion en quelques heures avec 40 kilos d’équipage pour rejoindre l'oeil des cyclones. Voici son récit.
J’ai grandi près de Londres, à High Wycombe, où le climat n’est pas spécialement passionnant et les nuages se battent avec la pluie, ce qui explique peut-être ma passion précoce pour les tempêtes.
La plupart du temps, la nature nous échappe. Nous perdons la conscience de son existence, sauf lorsqu’un phénomène extrême se produit. Être témoin d’ouragans, de typhons ou d’éruptions volcaniques me remplit d’humilité et me rappelle à quel point nous sommes fragiles.
Mon “premier” typhon date de 2005, je vivais à Taiwan, dans le cadre d’un échange universitaire à Taipei. Avec trois amis nous avons organisé une sorte de “typhoon party”, une nuit blanche passée à écouter le vent gronder.
Le cyclone secouait l’éclairage public et s'engouffrait entre les arbres. Des trombes d’eau s’abattaient sur la chaussée. Je n’avais que 22 ans et j'étais fasciné. D’autant que la nuit, nos sens sont encore davantage en alerte.
Pourtant, ce soir là, nous n’étions pas au coeur du cyclone. L'endroit où nous nous trouvions n'était qu'à la périphérie. Très vite, j’ai souhaité découvrir l'oeil du cyclone. C’est bien plus dangereux, extrême et violent. Alors j’ai contacté une vidéaste expérimenté, le Néo-zélandais Geoff Mackley. Il a eu la gentillesse de m'emmener avec lui et à partir de là j’étais accro.
En 2006 j’ai décroché un poste d’assistant de production à Shanghaï, au sein d’une télévision locale. Enfin, je disposais d’un salaire et donc d’un peu d’argent à consacrer à ma chasse aux typhons ! La ville de Shanghaï est bien connectée au reste de l’Asie, c'est un hub d’où je pouvais facilement m’envoler pour attraper les tempêtes.
J’ai vite compris que ce que je tournais avait de la valeur. Il n’y a pas tant de gens que ça qui se retrouvent… au coeur d’un cyclone avec une caméra qui tourne. En 2007, mes images ont commencé à se vendre. En 2008 j’ai eu la chance d’être embauché pour une production de Discovery Channel sur ouragans et typhons. C’était un tournant, d’autant que la chaîne m'a également racheté pas mal d’images d’archives. Je travaille notamment pour l’AFP depuis 2011.
Je peux me lever le matin sans projet particulier et en quelques heures acheter un billet d’avion et me retrouver dans l’après-midi sur une île ou un pays “surprise”… Peu de personnes ont cette chance !
Ces voyages demandent en une énorme préparation en peu de temps.
Avant de partir, la listes de choses à organiser est très longue: vérifier la topographie des lieux -- si c’est montagneux ou non, s’il existe un risque d’inondation, ou encore s'assurer que des voitures de location sont disponibles. En général, le point de chute est annoncé 24 heures à l’avance mais l’estimation est vague: elle couvre 100 ou 150 kms de côte. Il me faut donc à chaque fois identifier cinq ou six lieux où trouver refuge et laisser mon véhicule sans qu’il risque d’être détruit par le vent.
Je dois pouvoir me déplacer jusqu’à la dernière minute et changer de lieu si la tempête devient trop dangereuse. Cette préparation est complexe et stressante. Il faut par exemple s’assurer d’avoir une chambre d’hôtel pour éviter de se retrouver à la rue.. faute de disponibilité si toutes les chambres sont prises d'assaut par des habitants qui fuient la tempête..
Avant de pouvoir mettre la caméra sur mon trépied et appuyer sur le bouton “enregistrer” il y a un énorme travail de préparation, alors quand on y est, que tout a bien fonctionné auparavant, c’est presque relaxant: c’est mon moment de détente !
Les nuits d’insomnies, je ne suis pas hanté par le danger d’être au coeur de la tempête, mais plutôt par les erreurs de préparation: par exemple par le risque d'être rattrapé par les flots d’une inondation faute d’anticipation... Sur la “checklist” du bon chasseur de typhons deux exigences importantes: trouver un site en hauteur -- de préférence au moins 20 mètres au-dessus de la mer -- et identifier un bâtiment solide, en ciment, le tout quand même assez proche de l’océan car quand le vent, les vagues et la terre s’unissent, c’est assez dramatique en images.
Mes cyclones préférés sont sans doute ceux qui touchent de petites îles au milieu de l’océan, par exemple sur celle de Miyakojima, à l'extrême sud du Japon.
Les constructions sur place sont adaptées aux typhons et donc ce n’est pas trop dangereux pour les populations locales, les habitants sont habitués à vivre, année après année avec les typhons.
On se sent au milieu du vaste océan, à la merci de la force la plus puissante de notre planète et au coeur de la plus puissante des tempêtes. Les vagues sont imposantes et on sent encore davantage la force du vent, car il n’y a rien pour l’arrêter, pas de montagnes, rien. Il y a quelque chose de très pur..
Je n’en ai pas moins conscience du caractère destructeur de ces tempêtes qui tuent des êtres vivants et dévastent leurs habitats. J’ai découvert des communautés, spécialement aux Philippines, particulièrement vulnérables.
Sans être un scientifique -- il ne s’agit là que d’observations personnelles -- j’ai le sentiment que les tempêtes deviennent de plus en plus dingues. Elles sont plus puissantes, plus rapides, se renforcent plus vite et touchent terre avec plus de force.
Désormais, en particulier quand je vais au Philippines, même si on annonce un typhon de catégorie 1 -- la plus faible -- je me prépare toujours au pire scénario car une tempête sur cinq y devient extrême. Je suis toujours prêt pour le phénomène le plus violent et destructeur.
Si le niveau de la mer continue à monter en raison du changement climatique et les typhons deviennent encore plus puissants, il y a vraiment de quoi s’inquiéter pour l’avenir de ces communautés.
Elles pourraient vivre des phénomènes comme le typhon Haiyan -- accompagné de vents à plus de 300 km/heure et qui a fait plus de 6.000 morts en novembre 2013 sur les îles philippines de Tacloban.. Ce sont toujours les gens les plus pauvres qui souffriront les conséquences...
Blog écrit à partir d'un récit de James Reynolds à Tokyo. Edition et mise en forme: Michaëla Cancela-Kieffer à Paris.