Dans un brouillard de gaz lacrymogène, les gendarmes mobiles avancent vers les manifestants anti-aéroport qui occupent la forêt de Rohanne à Notre-Dame-des-Landes, dans l'ouest de la France (AFP / Jean-Sébastien Evrard)

Brouillard lacrymogène en forêt profonde

NOTRE-DAME-DES-LANDES (France), 25 novembre 2012 – Un reportage à Notre-Dame-des-Landes a quelque chose de déroutant. Pour quelques heures, on se retrouve hors du temps, dans une véritable zone de conflit située à quelques kilomètres de notre vie normale. Une forêt dense, oppressante, baignée dans un brouillard de gaz lacrymogène. Le plus impressionnant, c’est le bruit. Une cacophonie de hurlements, d’insultes, de chants de militants, de grondements de bulldozers et d’explosions de grenades défensives.

Ce samedi 24 novembre, je suis arrivé sur place vers 8h30. Les gendarmes mobiles s’apprêtaient à intervenir. Le but de l'opération était de permettre aux bulldozers de détruire une partie des cabanes construites récemment par les militants qui campent sur place pour essayer d’empêcher la construction du nouvel aéroport de Nantes.

(AFP / Jean-Sébastien Evrard)

Les opposants à cet aéroport forment un groupe très hétéroclite. Il y a de tout : des élus locaux, des écologistes, des ex soixante-huitards, des militants venus des quatre coins de l’Europe… La plupart sont pacifiques. Il y a notamment les défenseurs de la nature, pour la plupart des étrangers, dont la spécialité est de s’installer dans des filets tendus à travers les arbres.

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Mais il existe un noyau violent et très bien préparé. Une vraie guérilla dont les combattants sont équipés de masques à gaz de chantier, de lunettes de ski et de boucliers bricolés avec des demi-tonneaux. Ils tirent des boulons à la fronde sur les forces de l’ordre. Ils projettent aussi des fusées éclairantes, des cocktails molotov des cailloux et, d’une façon générale, se servent de tout ce qui est à leur disposition pour dissuader les forces de l'ordre de progresser. Il est spectaculaire de les voir jaillir du bois et se mettre à harceler les gendarmes.

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Pour couvrir ce genre d’événement, nous sommes équipés de casques et de masques à gaz. Les journalistes s’efforcent de rester groupés. Il faut sans arrêt montrer sa carte de presse aux gendarmes. Ces derniers sont corrects avec nous, même si on les sent de plus en plus nerveux. Ils ont du mal à distinguer les journalistes des manifestants pendant les charges. Il faut faire très attention.

Physiquement, c’est intense. Il faut marcher longtemps, avec un ordinateur et un lourd matériel photographique sur le dos, dans une atmosphère hostile. On emporte de l’eau, des barres de céréales et du sérum physiologique pour se rincer les yeux au cas où on se prendrait du gaz lacrymo malgré nos protections. En cette saison, il pleut presque tout le temps. Transmettre les photos est compliqué. La 3G ne passe presque pas dans la forêt de Rohanne. Heureusement, depuis le temps, les photographes ont fini par repérer les points où les communications passent.

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Le but premier des gendarmes n’est pas de déloger les activistes, mais de sécuriser le terrain pour permettre aux engins de chantier de détruire les cabanes du squat. Ils ont des consignes très précises. Ils interpellent les manifestants qui résistent (comme le barbu sur la photo ci-dessus). Cela dure des heures. Mais dès qu’ils ont fait le ménage, ils quittent les lieux très rapidement. Samedi, tout était terminé vers 17h30. La fin de la bataille est aussi impressionnante que le début : les gendarmes se replient vers leurs fourgons, toujours harcelés à coups de boulons par les manifestants qu’ils essayent de tenir à distance en ripostant à la grenade lacrymogène. Puis ils démarrent en trombe et tout est fini. On s’efforce de ne pas traîner sur place après leur départ.

(AFP / Jean-Sébastien Evrard)

On parle beaucoup de l’hostilité des opposants à Notre-Dame-des-Landes envers la presse. Il est vrai que le mouvement s’est beaucoup durci. On passe la journée à se faire insulter. On se fait traiter de presse bourgeoise, de complices du pouvoir… On nous jette parfois des pierres. C’est très tendu. Il devient de plus en plus difficile de couvrir les manifestations à la fois du côté des opposants et de celui des forces de l’ordre.

Ceci dit, il ne faut pas généraliser. Samedi, avec quelques collègues, nous sommes allés à la rencontre d’un groupe de manifestants. Nous avons pu leur parler, et cela s’est bien passé.

(AFP / Jean-Sébastien Evrard)
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Jean-Sébastien Evrard est un photographe indépendant basé à Nantes, qui collabore régulièrement avec l'AFP.