Le roi du porno japonais Ken Shimizu, alias Shimiken (AFP / Yoshikazu Tsuno)

« Merci bien, je préfère rester dehors »

TOKYO, 18 mai 2015 – Quand faut y aller, faut y aller. Mais quand j’ai été invité sur des tournages de film X au Japon, j'ai répondu: « Merci bien. Je vais attendre dehors ».

Le « Rocco Siffredi nippon », Shimiken, a récemment fait un méga buzz sur Twitter en s'alarmant que les acteurs pornos soient une espèce en voie d'extinction dans l'Archipel, moins nombreux de nos jours que les tigres du Bengale en liberté dans le monde. Le Japon ne compte plus en effet que 70 hardeurs face à quelque 10.000 hardeuses. 

Ah, encore une énigme japonaise à résoudre. Ce phénomène serait-il le symptôme d’une crise plus profonde, qui ébranlerait les fondements mêmes (sans jeu de mot) de la société nippone ? Pour trouver la réponse, une étude exhaustive de l’industrie japonaise du porno, qui pèse vingt milliards de dollars par an, s’impose. Voilà qui promet de ne pas être un reportage habituel.

L'actrice japonaise de "vidéos pour adultes" Anri Okita (AFP / Toru Yamanaka)

Tout à coup, une question jaillit dans mon esprit: «Mais qu’est-ce que je connais à l’industrie du X ?» A vrai dire, pas grand-chose comme je vais le découvrir bientôt.

Sans compter que ma parfaite éducation « british », qui impose une certaine pudibonderie à l’égard de tout ce qui se situe sous la ceinture, ne m’avantage pas pour cette mission. Car comment mener à bien un reportage sur le sexe quand on rougit rien qu’en pensant aux questions qu’on va poser ?

Taper « porno japonais » dans Google

Après m'être assuré auprès de mon rédacteur-en-chef que ce n'est pas une mauvaise plaisanterie, je tape «porno japonais» dans Google. Puis des e-mails aux 28 (vingt-huit) sociétés de production spécialisées que nous dénichons sans coup férir.

L’affaire paraît emballée. Le vidéaste du bureau, Antoine Bouthier, aussi.

Mais très vite, notre scabreuse enquête s'écarte du scénario original. Sans l'avoir prévu, nous voici d'abord sur la piste du «porno du troisième âge», à savoir les films X tournés spécifiquement par des seniors pour les seniors, qui font un tabac dans un Japon qui vieillit à la vitesse grand V.

On nous convie donc à assister aux débuts d'une actrice de 61 ans dans le monde de la « vidéo pour adultes », au fin fond de la préfecture de Saitama, au-delà de la tentaculaire banlieue nord de Tokyo.

« Vous ne devriez pas plutôt faire du tricot ? »

En descendant de voiture, je remarque que j’ai les mains moites. Ce n’est certainement pas une poussée d'adrénaline. C’est de la peur. Je pense à cette sexagénaire et je cherche la formule adéquate pour lui demander poliment: « est-ce que vous ne devriez pas plutôt être en train de faire du tricot? »

Une fois bouclées l’interview et la séance photo (habillée) avec Mme Yasue Tomita, Antoine me joue un sale tour en demandant à faire quelques plans rapprochés supplémentaires pour son reportage vidéo.

L'actrice porno Yasue Tomita, 61 ans, fait ses débuts dans un studio de Tsurugashima, dans la banlieue nord de Tokyo, le 17 mars 2015 (AFP / Toru Yamanaka)

« Bien sûr », répond le metteur-en-scène. «L’actrice va prendre une douche maintenant, venez». Silence gêné. Au dernier moment, je trouve l'inspiration: «Moi, je ne m’occupe que du texte, je vais attendre dehors!»

Du poisson surgelé au hard

Plus tard, on nous propose d'interviewer en exclusivité un choix de reines du porno ainsi que l’étalon en personne: Shimiken, de son vrai nom Ken Shimizu.

Je rencontre Yuko Shiraki, une hardeuse de 39 ans, lors d'une séance photo. Elle appartient au genre dit « juku-jo» («femmes mûres»). Elle porte une robe de chambre et des pantoufles et m’attend dans sa loge surchauffée. Je crève de chaud, mais je réussis à demeurer concentré (et tout habillé).

Yuko me narre son histoire. Elle a toujours fait dans le grand gabarit: avant de passer au X, elle conduisait des poids lourds et transportait du poisson surgelé.

L'actrice de "vidéos pour adultes" Yuko Shiraki (AFP / Toru Yamanaka)

Je lui pose la question qui brûle toutes les lèvres sur les plateaux du hard nippon. Pourquoi une telle pénurie de pénis?

« De nos jours, les hommes sont moins macho, moins intéressés par le sexe », explique la starlette du X. Et d’attribuer la carence d’acteurs porno masculins au phénomène sociologique des « herbivores », comme on appelle au Japon les jeunes gens peu intéressés par le sexe et fuyant les valeurs viriles traditionnelles. « Cela devient épuisant pour nos pauvres partenaires masculins».

Merveille de la nature

La suivante à répondre est Anri Okita, célèbre au Japon pour sa poitrine à la Anita Ekberg. Restons là aussi concentré.

«C'est une question de physiologie», confie-t-elle, «Shimiken est un génie, une merveille de la nature». Comprenez: le Japonais moyen n’est pas à la hauteur.

L'acteur X japonais Ken Shimizu, alias Shimiken, en mars 2015 (AFP / Yoshikazu Tsuno)

Le génie, tout en muscles, fait son apparition dans une DeLorean DMC-12 (le modèle popularisé par le film « Retour vers le futur ») et me tend une « meishi » (l'indispensable carte de visite) en forme de phallus.

« Je suis Sex Man ! »

« Je suis Sex Man !» lance-t-il en guise de présentation. J’admire son audace vestimentaire: il porte un T-shirt bleu marqué «Sex Instructor». Il ne me viendrait pas à l’idée d'en douter. Après tout, à 35 ans, Shimiken a fait l'amour avec plus de 8.000 femmes… «C’est dur, comme boulot, mais il faut bien que quelqu’un s’en charge», assume-t-il.

L’entretien dure deux heures. La majeure partie de ce qu'il raconte est carrément impubliable pour une agence de presse prestigieuse comme l’AFP.

Nous repartons quand même avec suffisamment de matériel pour un scoop honorable, et nous avons bien progressé dans notre quête. « Les mecs ont peur d’être comparés avec les autres acteurs », avance notre stakhanoviste du sexe pour expliquer l’absence de vocations masculines dans le hard. « En plus, avec les réseaux sociaux, on ne peut plus cacher longtemps son gagne-pain à sa mère et à son entourage ».

SM pour public très averti

Au moment où je crois le reportage terminé, et qu’à mon grand soulagement je me prépare à retourner à mon desk de journaliste sportif (une activité qui commençait à ressembler à une vie antérieure), je reçois un coup de fil d’une compagnie spécialisée dans les films SM pour public très averti. «Il y a un tournage lundi», dit la voix à l'autre bout. «Merci d'être ici à 21h00».

Le metteur en scène de films X japonais Tohjiro pendant un tournage dans un studio à Tokyo (AFP / Yoshikazu Tsuno)

Nous pénétrons dans un immeuble froid, humide et sombre et gravissons six étages pour tomber sur... un studio de cinéma.

Un acteur, la cinquantaine, en peignoir bleu, est assis et fume cigarette. Bas de plafond, le studio est surpeuplé et il y flotte une odeur épouvantable. Une femme arrive, laisse tomber sa robe. Du calme, respirons, restons concentré. Des ustensiles SM en tout genre sont prêts à l’emploi.

On est à 30 secondes du «Moteur… action !» Yoshikazu Tsuno, le chef photographe de l’AFP Tokyo, mitraille le réalisateur. Antoine finit d'installer son matériel - nerveusement.

Je me sens de plus en plus mal à l'aise. Et soudain, l'inspiration: «Moi, je ne m’occupe que du texte, je préfère attendre dehors!»

Alastair Himmer est correspondant de l'AFP à Tokyo pour le sport et le lifestyle. Cliquez ici pour lire la version originale anglaise de son billet.

Tournage d'un film SM à Tokyo (AFP / Yoshikazu Tsuno)
Alastair Himmer