Chez les Waiapi

Waiãpi, Etat d'Amapá (Brésil) -- Quel que soit l’endroit du monde que vous traversiez, une question finit toujours par se poser de façon plus ou moins urgente: où sont les toilettes? Mais en entamant une rare visite dans le territoire tribal des Waiapi, au cœur de l’Amazonie, la question s’est avérée plus compliquée : en quoi consistent les toilettes ?

Les Waiapi ne sont entrés en contact avec le monde extérieur que dans les années 70. Ils ont tout fait depuis pour préserver leur mode de vie. Vêtus de pagnes de tissu rouge et couverts des pigments rouge et noir obtenus avec le roucou et le genipa, ils tirent leur subsistance exclusivement de la chasse, de la pêche et d’une petite agriculture sur brulis dans la forêt primaire brésilienne.

Chez les Waiapi. 15 octobre 2017. (AFP / Apu Gomes)

 

Notre équipe de trois journalistes AFP est arrivée dans un gros 4x4 blanc après quasiment une journée de pistes toujours plus sommaires.

En déchargeant notre collection en apparence inépuisable d’appareils photos, caméras, ordinateurs, bombes insecticides, protections étanches et autres, le tout sous le regard curieux d’une poignée d’enfants timides vêtus de presque rien, il est devenu clair que nous aurions besoin de nous adapter.

Dans le village de Pinoty, chez les Waiapi, 12 octobre 2017. (AFP / Apu Gomes)

 

C’est là qu’est revenue cette question pressante. Un chef Waiapi, magnifique avec ses perles et peintures corporelles, y a répondu d’un geste de la main en direction d’un sentier boueux, menant à travers jungle jusqu’à une rivière peu profonde, où il nous a laissés en plan.

Nous avons examiné le lieu avec une certaine perplexité.     

A un endroit du cours d’eau, des enfants vêtus du pagne de rigueur jouaient en s’éclaboussant. Non loin, au milieu du gué, se dressait une sorte de plateforme de bois, de la taille d’une table.

Qu’étions-nous censés faire? Nous accroupir dessus? Ou sur une berge ? Devant l’assistance?

Dans l’incertitude, et trop embarrassés pour chercher une réponse définitive à la chose, nous avons battu en retraite.

S’adapter à l’endroit demanderait semble-t-il plus de temps que prévu.

Des Waiapi dansent et jouent de la flûte pour la fête de l'anaconda. Ils abandonneront ensuite leurs instruments dans la rivière, pour que le serpent protège leur village. 14 octobre 2017. (AFP / Apu Gomes)

 

D’un point de vue géographique, les Waiapi ne sont pas si isolés qu’il y parait. La petite ville de Pedra Branca est à deux heures d’une piste cahoteuse. Macapa, la capitale de l’Etat d’Amapa, que nous avons rejoint en une nuit et deux vols depuis Rio de Janeiro, n’est qu’à trois ou quatre heures de route en plus.

Mais la tribu a tout fait pour empêcher ceux de l’extérieur de franchir cette courte distance, et pour de bonnes raisons.

Un Waiapi évite la chute d'un arbre coupé pour préparer une plantation de manioc, un aliment de base de son peuple. 14 octobre 2017. La forêt fournit aux Waiapi ce dont ils ont besoin pour se nourrir, se guérir et s'abriter. (AFP / Apu Gomes)

Leur premier contact avec les blancs dans les années 1970 a introduit des maladies qui les ont presque exterminés, comme la rubéole, contre laquelle ils n’étaient pas immunisés, et encore moins vaccinés.

Leur population est revenue aujourd'hui à environ 1.200 individus.

Elle est confrontée à une nouvelle menace : proche des grands industriels, le président brésilien Michel Temer a le projet d’ouvrir à l’exploration minière leur réserve naturelle.

Le plan du gouvernement, actuellement suspendu sous la pression des défenseurs de l’environnement, est la raison de notre venue. 

Nous voulons donner voix au chapitre à ces peuples indigènes, dont la présence a précédé de très loin l’arrivée des Européens.

Face à la pression montante des bucherons, des mineurs et des grands fermiers, les tribus comme celle des Waiapi sont régulièrement décrites comme des gardiens du « poumon de la planète » qu’est la forêt amazonienne. Mais le monde extérieur entend rarement leur voix.

Au bureau de l’AFP, à 2.900 km de là, la première chose que nous avons fait a été de situer l’endroit sur Google maps. Depuis Pedra Branca, une piste s’enfonce vers le nord-ouest au cœur de la forêt, avant de s’arrêter brusquement sous le mot « Waiãpi ».

Ensuite nous avons organisé notre petite expédition avec des appels aux défenseurs de l’environnement, aux administrations en charge des forêts et des peuples indigènes, ainsi qu’aux amis aventureux…

La bonne chose pour les journalistes au Brésil est que les contacts, y compris avec l’administration, sont généralement cordiaux. Ce qui l’est moins c’est la tendance de vos interlocuteurs, d’une façon toujours aimable, à vous promettre la lune avant de vous faire faux bond.

Pendant quelques semaines, nous avons bataillé dans cette forêt administrative. Nos outils étaient modernes : email, Whatsapp, téléphone, Skype et Facebook. Mais nous cherchions à obtenir la permission de voir des gens qui vivent sans électricité, ni téléphone ou ordinateur.

Jawaruwa Waiapi, dans son bureau de conseiller municipal de Pedra Branca, dans l'Etat d'Amapa, le 12 octobre 2017. (AFP / Apu Gomes)

Nous sommes arrivés à nos fins grâce à Apina, un conseil créé dans les années 90 par les Waiapi pour organiser la délimitation de leur territoire, essentielle pour en défendre l’accès à des intrus.

A l’aide d’une radio VHF il a obtenu l’accord des chefs de village dispersés dans la forêt avant de nous délivrer une autorisation sous la forme d’un courrier aussi formel qu’imposant.

Même une fois arrivés à Pedra Branca, nous avons bien cru que tous nos efforts avaient été en vain.

Notre contact en ville était un indien Waiapi remarquable, Jawaruwa (vidéo). L’an dernier, il a rejoint le conseil municipal, devenant le premier membre de son peuple à décrocher une fonction électorale au Brésil.  

Il semblait décidé à nous aider, mais au moment de partir il a reçu un message annonçant qu’un membre de la tribu avait été tué dans un village.

Depuis plusieurs mois, des histoires terribles circulaient sur des orpailleurs illégaux tuant des indigènes, ainsi que sur des hommes de main au service de gros propriétaires terriens s’en prenant à de petits fermiers opposés à leurs projets.

Nous avons craint le pire. S’il s’agissait d’une attaque venant de l’extérieur, la tension serait telle que notre voyage en serait annulé.             

Un Waiapi du village de Pinoty, Etat d'Amapa, 12 octobre 2017. (AFP / Apu Gomes)

Heureusement, nous avions établi une bonne relation avec Jawaruwa. Il a écouté notre demande de ne pas abandonner la mission. Il était visiblement préoccupé, car chez les Waiapi la mort d’un individu est perçue comme celle d’un membre de la famille pour toute la tribu. Nous l’avons rassuré sur le fait que nous avions l’habitude des situations délicates.

« Nous pouvons essayer d’y aller et voir », a-t-il conclu, « mais si les gens sont trop choqués, ils ne vous laisseront pas entrer et il nous faudra repartir».

Nous ne pouvions pas demander plus.

Nous nous sommes embarqués sur la piste qui semblait fendre un océan d’arbres, dans l’attente d’une découverte renouvelée à chaque virage.

Kurija Waiapi, 14 octobre 2017. (AFP / Apu Gomes)

 

Nous sommes arrivés à un petit pont de bois, avec un panneau indiquant « Territoire protégé ».

« Arrêtez-vous ici », a intimé Jawaruwa, encore vêtu de ses habits de ville, une paire de jeans et une chemise impeccable, mais portant une magnifique coiffe de plumes.

Quand nous sommes descendus de voiture, le silence était impressionnant. Progressivement, les cris des oiseaux et le bourdonnement rythmé et mécanique des insectes ont repris le dessus.

Et ils sont apparus: une vingtaine de Waiapi, simplement vêtus de pagnes, sortant d’entre les arbres.

Par les temps qui courent, le journalisme est géré de façon croissante par ces mêmes personnes auprès desquelles les journalistes sont censés exercer leur métier.

Le grand reportage existe toujours, bien entendu. Grace à l’étendue mondiale de son réseau l’agence peut explorer des coins du monde difficile d’accès pour la plupart de nos collègues. Mais d’une façon générale, les gens des relations publiques, les spécialistes de la communication, les officiers de liaison, les chaperons et les gardes, au choix selon la situation, ont le vent en poupe. Et une même préoccupation: contrôler les médias.

C’est ce qui, au-delà de l’esthétique de ces pagnes rouges vif tranchant sur un fond de rideau  vert, rendait cette rencontre extraordinaire.

Nous nous sommes regardés tous les trois, yeux écarquillés, pensant une même chose : «c’est pour de vrai ». Jawaruwa nous a dit d’avancer.

Il est apparu que le coup de feu était un simple accident de chasse. La victime s’en sortirait, la nervosité était retombée, et nous pouvions rester.

Au menu, singe grillé et gibier de la forêt, mais l'alimentation est basée avant tout sur le manioc et les fruits. 13 octobre 2017. (AFP / Apu Gomes)

Nous étions très excités. Nous n’étions pas les premiers journalistes à poser le pied ici, mais à la différence de nos prédécesseurs nous allions bénéficier d’un grand privilège : du temps. Les visites précédentes avaient été brèves. La tribu avait décidé de nous accorder quatre jours.

Bien entendu, même une telle durée ne permet que d’effleurer la surface des choses.

Nous n’obtiendrions rien de plus qu’une compréhension sommaire du monde spirituel des Waiapi, dans lequel une cohorte d’esprits aux noms volatiles habite les arbres et les animaux.

Nous n’aurons pas eu assez de temps  pour les suivre à la chasse, mais nous avons apprécié le poisson et même, malgré son aspect repoussant, la goûteuse viande de singe fumé, rapportée de la forêt.

Enfin, notre apprentissage de la langue Waiapi n’a pas dépassé le stade du mot « merci ».

Mais quelle chance extraordinaire nous avons eu.  

Car simplement en passant du temps, en observant la vie quotidienne, en dormant dans des hamacs sous l’épaisse voute étoilée d’un ciel pur, et en buvant le "Caxiri", une remarquable boisson fermentée à base de manioc, nous avons pu entrevoir un monde complètement différent du nôtre.

Parfois, même sur de grosses histoires, un bon reportage peut reposer sur l’obtention d’une seule citation clé. Un journaliste motivé est prêt à n’importe quoi, -comme faire le siège d’un bureau, harceler un porte-parole, supplier, flatter ou essayer de séduire une source-,  pour l’obtenir.

Un reportage comme celui-ci exige d’autres qualités.

A peine le pied posé dans le village nous avons été soumis à un flot d’images : chaque visage peint, chaque rassemblement autour d’un feu, chaque enfant passant en courant était une idée de photo, de vidéo ou d’interview. Nous nous trouvions dans l’équivalent d’une confiserie pour journaliste.

Le défi n’était pas d’obtenir la fameuse citation, mais d’arriver à identifier des histoires dans cette corne d’abondance. Et compte tenu de notre ignorance de la culture Waiapi, d’arriver au besoin à changer rapidement notre fusil d’épaule.

La première chose à intégrer a été que les apparences pouvaient s'avérer trompeuses. L’image traditionnelle de guerriers aux torses nus, munis de flèches et d’arcs de près de deux mètres, n’est pas usurpée. Les Waiapi sont d’excellents chasseurs, experts à trouver dans la forêt tout le nécessaire à leur survie, que ce soit pour s’abriter, se nourrir ou se soigner.

Mais nous avons aussi découverts des éléments de modernité surprenants, greffés sur ce mode de vie ancestral. Par exemple, un ou deux villageois utilisaient un téléphone mobile comme appareil photo, à défaut de signal pour communiquer.

Le fils aîné du chef du village avait un vieux poste TV et une antenne satellite installée près du toit de chaume sous lequel il dormait, même si nous ne l’avons jamais vu s’en servir.

Le cadet, un solide gaillard aimant parader avec une masse en bois, était visiblement propriétaire de l’unique véhicule de la tribu, même s’il manquait d’essence à ce moment-là et que la première pompe se trouve à Pedra Branca.

D’ailleurs, si les anciens de la tribu veillent à ce que le groupe respecte strictement sa culture, ses membres se rendent occasionnellement en ville. Ils naviguent avec aisance entre deux réalités d’apparence alternatives.

Un homme fait boire à un enfant du Caxiri, une boisson traditionnelle fermentée, à base de manioc. Village de Manhila, 12 octobre 2017. (AFP / Apu Gomes)
Des enfants Waiapi regardent la vidéo d'une danse traditionnelle sur un téléphone mobile. Village de Manilha. 12 octobre 2017. Dans la forêt, il n'y a pas de signal pour les téléphones, qui servent d'appareil photo. (AFP / Apu Gomes)

 

 

Quand nous avons emmené un jeune homme à Pedra Branca, nous avons fait une halte avant d’y pénétrer pour qu’il puisse échanger sur le bord de la route son pagne pour des jeans, une chemisette et des chaussures de cuir. Nous avons observé la métamorphose inverse de Jarawawa au retour, quand il a abandonné ses vêtements de ville en arrivant dans la forêt primitive, avant de réapparaître presque nu, couvert d’un pigment rouge, et l’air visiblement plus détendu.

En parlant de voitures, il faut dire que si les Waiapi se déplacent d’ordinaire à pied, abattant gaiement de longues distances entre villages ou pendant la chasse, ils ont grandement apprécié la mise à disposition de notre 4x4.

Un Waiapi surveille un jeune garçon en train de cueillir les fruits du genipa, un arbre aussi utilisé pour l'obtention d'un pigment décoratif noir. 13 octobre 2017. (AFP / Apu Gomes)

Transformé en taxi de la jungle, il a accueilli jusqu’à une douzaine de passagers d’un coup.

Le plus frappant a été l’aisance avec laquelle les membres de la tribu ont affronté nos caméras et carnets de note. Nous avions peur qu’ils hésitent à s’exprimer, mais ils ont paru saisir immédiatement ce que nous attendions d’eux.

Ils n’avaient rien à envier à ces vétérans des relations avec la presse qui savent parfaitement lui donner la becquée.

Dans un village, une dizaine d’habitants se sont alignés devant la caméra de Marie, en agitant leurs flèches et en criant des slogans (vidéo). 

La manifestation contre Michel Temer aurait fait bonne figure devant le siège du gouvernement brésilien. Ils l'ont exécutée pour notre seul bénéfice au fond de la forêt amazonienne.


Jawaruwa, visiblement instruit par son expérience de politicien local, a remarqué que la charge de travail incombant aux femmes dans le village principal où nous dormions ne nous avait pas échappé.

En fait, c’était impossible à ne pas voir: les femmes s’occupent du feu; les femmes partent récolter le manioc, avant de passer des heures à le travailler pour en tirer la bière; et les femmes, ou souvent de jeunes filles, sont en charge de la nombreuse progéniture du groupe.

L'une d'elles n’y est pas allée par quatre chemins quand Marie lui a demandée si elle était heureuse : « Non ! ».

De son propre chef, Jawaruwa est intervenu plus tard pour nous indiquer que les hommes s’occupent de la chasse et du défrichement pour la culture sur brulis. Fort à propos, un groupe de villageois est passé devant nous avec des haches pour couper des arbres, et nous ont invités à les suivre.

Départ pour la récolte du manioc qui servira à fabriquer le Caxiri. 13 octobre 2017. 2017. (AFP / Apu Gomes)
Un enfant et sa mère récoltent du bois pour un foyer du village de Manhila, 13 octobre 2017. (AFP / Apu Gomes)

 

 

Cette adaptabilité nous a montré qu’avant toute chose les Waiapi sont de grands survivants. Ils sacrifient juste ce qu’il faut à la modernité – dont l’invitation de médias  comme les nôtres – pour écarter la pression du monde moderne, tout en se démenant pour préserver l’essentiel de leur mode de vie traditionnel.

C’est une méthode beaucoup plus sophistiquée d’adaptation que celle consistant à se cacher au fond de la forêt, comme le font d’autres tribus.     

Les Waiapi nous ont laissé vaquer librement.

Leurs journées ne semblent pas particulièrement structurées, si ce n’est de se lever avec le soleil et de rejoindre son hamac à la nuit tombée.

Nous n’arrêtions pas de faire des interviews et de  prendre des images, mais quand nous nous retrouvions autour d’un feu pour manger un morceau ou prendre un café et lait en poudre, -apportés de la ville bien sûr-, venait le moment de partager nos impressions personnelles sur ce reportage inhabituel.

Apu nous a raconté que son arrière-grand-mère, qui venait d’une tribu indigène, avait été volée enfant dans son village et finalement mariée dans une famille blanche. Il se considère avant tout comme Brésilien, mais ses racines le rattachent à des gens qui ont pu vivre en leur temps comme le font les Waiapi aujourd’hui.     

Cette histoire laisse un goût un peu amer à Apu. Elle nous a fait réfléchir à l’histoire tragique des relations du Brésil avec ses peuples indigènes, et aux chances de survie à long terme des Waiapi.

Au point de nous demander si notre propre visite, dont l’objectif premier était d’éclairer le sort d’une population que les puissants du pays ignorent largement, ne contribuerait pas in fine à leur déclin.

Famille Waiapi. 14 octobre 2017. (AFP / Apu Gomes)

En voici juste un exemple.

Nous avons été émerveillés par la capacité des Waiapi à vivre sans quasiment laisser de déchets, déconnectés de notre société de consommation. Ils utilisent des gourdes calebasses  et de minces canes en guise de bols et de pailles. Les galettes de tapioca leur servent d’assiettes comestibles. Ils fabriquent même des sortes de sacs à dos avec des feuilles de palmes.   

Mais quand est venu le moment de partir, les femmes se sont empressées de récolter nos grosses bouteilles de plastique vides, ainsi que notre petite collection d’assiettes et fourchettes.

Nous avons culpabilisé.  Ces ustensiles si laids ne paraissaient pas à leur place dans ce cadre, mais peut-on priver quelqu’un d’une chose aussi utile, même en plastique ?

 

Nos discussions autour du feu de camp ont aussi touché des problèmes plus terre-à-terre, mais pas moins difficiles à résoudre. Comme ce grand mystère des toilettes waiapi.

La bonne nouvelle est qu’après un gros travail de recherche nous avons finalement compris son fonctionnement. 

Il y avait en fait deux rivières près du village. La première, avec sa plateforme en bois, servait à répondre à l’appel de la nature, alors que la seconde, plus profonde, était réservée à la nage et au bain, une activité très importante pour eux.

La plateforme n’était pas destinée à l’usage que nous imaginions, puis qu’elle sert à laver le linge. Vous imaginez le scandale que nous avons évité, en comprenant la chose avant qu’il ne soit trop tard. La présence d’enfant s’éclaboussant dans cette rivière peu profonde n’était pas plus gênante, parce que la partie toilette de l’endroit se trouvait une vingtaine de mètres en aval.

Dans la rivière Feliz, qui traverse le territoire des Waiapi, Etat d'Amapa, 14 octobre 2017. (AFP / Apu Gomes)

 

Le fonctionnement en est très simple.

« Vous allez au milieu de  la rivière, vous faites vos petites affaires et vous vous nettoyez avec l’eau », nous a expliqué Jawaruwa. Pas besoin de papier évidemment, un autre point vert à mettre à leur crédit.

Bon, très bien, mais comment s’assurer de pouvoir effectuer la manœuvre dans une certaine intimité, avec les enfants qui jouent, une possible lessive ou encore la perspective d’avoir à partager l’endroit avec une autre personne? Voire plusieurs!           

Après avoir partagé cette préoccupation avec le chef du village, Sébastien s’est vu accorder une escorte de deux jeunes en pagnes rouges pour interdire l’accès à la rivière, comme s’il était devenu une sorte de célébrité de la forêt primaire. La mission a échoué, nous a rapporté un Sébastien un peu abattu. Il en a fait porter la responsabilité à deux gamins hilares qui avaient trompé la vigilance de l’escorte pour assister à la scène.

En conséquence, nous avons réservé ces moments délicats aux heures de nuit étoilée ou à de furtives escapades dans les buissons. En nous demandant à chaque fois si un animal dangereux ne rodait pas autour, et en nous sentant comme les gringos maladroits que nous sommes.

Il y a tant de choses que nous comprendrons jamais sur les Waiapi, et vice-versa.

Malgré cela, au moment de nous dire au revoir, cernés par ces arbres magnifiques et le bruit de fond des oiseaux et des insectes, il y avait une affection sincère entre nous.

Nous venions de deux mondes très différents, mais nous étions arrivés à comprendre une chose très importante : nous partageons la même planète et nous avons besoin les uns des autres.  

Jawaruwa Waiapi et sa famille, dans le village de Manhila, Etat d'Amapa, 13 octobre 2017. (AFP / Apu Gomes)

 

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